11 août 2006

ISTANBUL BLUE


Les revoilà, les moments d’attente et d’euphorie, à rêver aux lieux magiques qui vous «habitent» depuis des semaines. Les revoici, les douces saveurs du voyage, où l’inconnu et l’émerveillement reprennent leur droit sur la routine des jours qui s’égrènent sans surprise. Elle est de retour, cette belle langueur orientale, où le temps s’écoule aussi lentement que le marc d’un long café turc… Nous sommes arrivés à Istanbul il y a deux jours et les sensations du voyage font comme si elles n’étaient jamais réellement parties.


L’aventure, pourtant, a failli tourner court… ou a démarrée plus tôt que prévu : un quart d’heure avant le départ, impossible de remettre la main sur ma carte bleue, sur laquelle repose tout le séjour. Panique à bord et départ vers le lieu de décollage (Nice) sans même savoir s’il pourrait avoir lieu. Deux heures de stress et une dizaines de coups de fil plus tard, un plan B voit le jour : un chèque déposé en urgence permettra d’utiliser une carte de secours… sans même savoir si elle est valable à l’International. Munie de cette belle « certitude » - comme seule le voyage peut en produire - l’avion décolle pour Istanbul…


Il ne faudra pas longtemps pour que l’agitation du départ s’évapore dans les brumes d’une vision féerique : arrivés en fin d’après midi, nous posons le pied dans le cœur historique de la ville au moment où la lumière rougit le gris des édifices, teintant l’atmosphère de rose et d’ocre. Dès les premiers pas dans les rues pavées, une douceur toute orientale s’installe sans crier gare, comme la chaleur d’un thé brûlant se propageant lentement dans les moindres recoins du corps. Certes, l’endroit a bien changé depuis mes dernières visites sur place - un métro et un tram modernes vous déposent désormais en moins d’une heure en centre-ville – mais la magie d’Istanbul, elle, opère comme avant.

Impossible de venir ici sans entamer son errance par les rives du Bosphore, comme un prélude aux merveilles sur le point de s’offrir au voyageur. D’un seul coup d’œil circulaire, on embrase la magie de la ville, enrobé d’une mosaïque d’impressions illuminant subitement son champ de vision : dômes arrondies surgissant au milieu du chaos de toits désordonnés, fins minarets plantés comme des bougies sur le gâteau urbain, ponts géants jetés d'une rive à l’autre, comme des passerelles vers un monde inconnu, mouvements incessants de bateaux de toute taille se croisant majestueusement sur les eaux de la Corne d’Or (le détroit séparant en 2 la rive européenne), vision des flèches de Topkapi perdues au milieu des arbres… Et lorsque l'on se représente en rêve les Mille et une nuits, la vision ne doit pas être si différente de cette coulée de lumière et d’or qui, en fin d’après midi, dessine en contre jour la silhouette des mosquées d'Istanbul, autour desquelles le cri des mouettes attire l’attention.


Il flotte sur les rives du Bosphore comme un parfum de magie, étrangement mêlé à l'atmosphère de splendeur déchue enveloppant les 3 grandes "sultanes" (Mosquées Bleue, Sainte Sophie et Soliman le Magnifique).


Et puis, il y a les contrastes qui, d’emblée, déroutent le voyageur. Contrastes entre ces monuments majestueux que l’on aperçoit en haut des collines et l’anarchie d’un tissu urbain dont les immeubles dégringolent vers la mer. Contraste entre l’immobilité nonchalante des édifices historiques et le chaos d’une circulation qui semble n'obéir à aucune règle. Télescopage entre l’atmosphère classique des grosse mégapoles – embouteillages, pollution,… – et la tranquille ambiance provinciale qui semble ici immuable, renforcée par la mosaïque étourdissante des métiers de rue. Sans oublier, bien évidemment, le contraste qui relie tous les autres, celui qui se ressent d’emblée au plus profond de soi : le choc entre Orient et Occident.

Il ne s’agit plus, ici, du cliché que l’on emporte avec soi mais d’une réalité qui s’affirme alors à chaque pas. C’est une femme entièrement voilée qui en croise une autre en tailleur coloré. C’est un homme d’affaire pressé qui croise un paysan abandonné, tout droit sorti d’une plaine d’Anatolie. C’est des posters géants annonçant le prochain Grand Prix de F1 qui servent de toile de fond à un marchand tirant péniblement une carriole de fruits surchargée. Sur les bords même du Bosphore, le sentiment d’étrangeté et de fascination redouble : ici, l’Europe, en face, l’Asie. Deux continents qui se frôlent, séparés par un simple bras d’eau, dont la largeur n’excède pas celle d’un cheveu sur une carte mondiale. Mélange curieux et envoûtant de deux atmosphères qui se télescopent. Deux rives... Deux rêves, aussi, pour moi : celui de vivre de pareils instants et de les partager avec ma petite famille (premier voyage Routard d'Amalia), comme autant de souvenirs venant illuminer de mille couleurs notre patrimoine émotionnel commun.


Notre trio n’a d’ailleurs pas tardé à se répartir instinctivement les rôles : j’organise le voyage, Patricia garde nos valeurs (voir l’épisode «Carte Bleue » ci-dessus… !) et Amalia s’occupe à elle seule les relations avec les turcs. Combien de passants se sont arrêtés pour la prendre dans leur bras, jouer quelques minutes avec elle ? Combien de restaurateurs se sont occupés d’elle pour nous laisser dîner ? Combien gens ont sourit en la découvrant courir sur les trottoirs, faire «Merhaba» («bonjour» en turc) de la main ou pointer du doigt un minaret avec cette éternelle question enfantine : « c’est quoi? ». Les turcs adorent les enfants, ce qui ajoute à leur sens inné de l’accueil. Pas craintive, Amalia répond a tout, joue avec tout le monde et nous vaut quelque belles tranches de vies… L’énergie qu’elle déploie n’a d’égal que la mosaïque de rencontres que nous dessinons grâce à elle.
















Et le soir, après un bon repas de Kebab devant un spectacle envoûtant de Derviche Tourneur, on se laisse définitivement enrober par ce rythme, cette atmosphère, cette langueur qui vous envahit et vous fait simplement ressentir le plaisir d’être là, ici et maintenant. Résonne alors dans la nuit le chant du muezzin, tandis que je contemple, de la terrasse de l’hôtel, les eaux bleues du Bosphore, traversées par les ombres silencieuses des tankers, porteurs de mille et un rêves de destinations fabuleuses.


On peut donc, le matin, voir le monde s’écrouler en cherchant une carte bleue et le soir, voir le bleu s’écouler en rêvant d’une carte du monde.


Nous arrivons ce matin dans la merveilleuse Cappadoce, seconde étape du voyage.





(Musique : Kasik Oyun Havasi - Café Istanbul)