26 févr. 2004

LOST IN TRANSLATION


Konnichiwa...


A peine quelques heures passées au Japon et déjà, l’ambiance ici me semble étrangement familière. Dès la toute première balade hasardée dans un coin de la capitale – à peine le temps de poser les bagages après l’avion (la chambre n’était pas encore prête et les japonais tiennent plus que tout a ce que tout soit parfait) - je me suis surpris à me sentir à l’aise. Pas vraiment en terrain connu, pas du tout même (mon "sens de l’orientation" contribue déjà à rallonger considérablement mes trajets), mais plutôt la vague sensation de mettre les pieds dans un lieu où « on » vous attend.


Sans doute la courtoisie des japonais, loin d’être usurpée, et l’inimaginable sentiment de sécurité que l’on ressent presque immédiatement (plus bas taux de criminalité du monde) y contribuent beaucoup. Mais je crois que, plus encore, c’est l’atmosphère intimiste des quartiers - en fait des villages imbriqués les uns dans les autres - qui procure cette vraie sensation de sérénité, quasi miraculeuse dans l'une des plus grande ville du monde. Imaginez un instant une ville de 18 millions d’habitants sans AUCUN coup de klaxon (sauf celui que j'ai provoqué en traversant la route hors des clous, les japonais roulant à gauche...), sans sirène de police ou autres bruits de deux roues parasitaires... bref, sans le brouhaha habituel des grosses mégalopoles. Même les voitures (berlines, 4x4 et gros vans pullulent ici, les japonais semblant compenser par la taille de leur voiture l’étroitesse de leur habitat) semblent étrangement silencieuses, comme si une règlementation implicite leur interdisait de dépasser un certain niveau sonore. Propreté, silence, harmonie... On revient d’une immersion dans Tokyo comme on sort d’un bain japonais (qui se prend a l’eau bouillante) : « lessivé » et vaguement hypnotisé.


Tokyo n’est pas une ville, c’est une hallucination. On s’y sent très serein mais tout y est fait pour dérouter les sens. Les réalisateurs de films de sciences fiction désenchantés (Brazil,1984...) sont forcement venu un jour ici puiser leur inspiration. En la contournant en train (la ligne Yamanote fait le tour du centre-ville) ou en bateau (croisière sympa sur la Sumida, la Seine de Tokyo), on ressent immédiatement le confinement, le manque d’espace. Je crois qu'on ne comprend rien à ce peuple si on ne saisit pas a quel point son environnement défavorable le contraint à se regrouper et à conquérir chaque mètre carré à coup d’ingéniosité . De l’extérieur, cela donne un gigantesque magma d’immeubles « scotchés » les uns aux autres (parfois à moins d’un mètre de distance), transpercé d’immenses autoroutes aériennes superposées les unes aux autres, reliées par de larges voies ferrées , engluées dans un réseau de fils électriques incompréhensible et recouvert de publicité colorées et d’idéogrammes géants.


Une fois à l’intérieur, c’est encore plus saisissant. Rien n’est identique d’une station de métro a une autre. Entre le quartier de Shinjuku et ses immeubles futuristes tout droit sortis de "Blade-Runner", le "village" Yanaka et ses vieilles maisons en Bois, le quartier de Ginza, sorte de centre commercial a ciel ouvert où les "Galeries Lafayette" locales jalonnent par demi douzaines des avenues gigantesques, le Parc Ueno, sorte de "Central Park" Tokyoïte (avec un Zoo, un lac, des statues des Rodin, une pagode et quelques temples shintoïstes) ou encore le quartier d Akihabara, dit la "cité électronique" où l’on expose ordinateurs, appareils numériques et autres caméscopes comme des fruits et légumes dans un marché, impossible de trouver un seul repère... Sauf un : le réseau de transport.


C'est la qu'on en apprend beaucoup sur les japonais. La foule est immense, mais nulle sensation d’agression ou même de confinement. Les rames bondées passent toutes les deux minutes. Tout le monde attend bien sagement sur des repères qui indiquent là où chaque porte de wagon va exactement s’arrêter. A l intérieur des rames, les gens jouent avec leur portable ou des gadgets électroniques non identifiés, lisent journaux ou Mangas (dont les lecteurs sont moins jeunes que hommes d’affaire) ou regardent la météo sur un écran télé. Les hommes sont habillés de façon uniformes (costumes bleu ou gris, chemises blanches) comme si un code vestimentaire leur empêchait toute fantaisie. Les femmes, à l’inverse, semblent ne pas relever de la même loi et recherche l’élégance (plutôt raffinée). Mais le plus hallucinant n’est pas ce qui se reflète dans les yeux mais ce qui parvient aux oreilles : partout, où que vous soyez à Tokyo, dans ou hors du métro, dans la rue ou un magasin, vraiment PARTOUT... un haut parleur vous transmet forcement un message. Comme pour combler une angoisse enfouie dans l'inconscient, les japonais sont nourris d'informations en permanence, délivrée d'une voix douce et calme, toujours précédée d'un jingle musical enfantin se voulant rassurant. Les masques anti-pollution et l’ordre qui règne ici achève de compléter ce tableau à la fois du Disneyland urbain et du décor"Orwellien".


Un dernier mot sur la vie quotidienne... Avec ses bains , ses tatamis et ses Kimonos, l’hôtel est une véritable initiation a une vie japonaise dont la sérénité contraste avec le confinement urbain. Dans les magasins où les restaurants, les vendeurs sont aux petits soins, redoublant de sourires (loin d’être purement commerciaux) et d "arigato gozaimass" (merci beaucoup). Comme rien ne semble ici se concevoir sans hiérarchie, l’expression "Le client est Roi" trouve au Japon sa concrétisation la plus aboutie. Dans les restos, la carte est écrite exclusivement en japonais et véritablement personne ne parle anglais.
Pour manger, il faut y aller a l’instinct, demander au serveur de vous conseiller ou... regarder les reproductions en plastique que certains restaurateurs malins ont eu la bonne idée de mettre en vitrine. J’en termine pour ce soir mais je signale que je suis dores et déjà en train de battre mon record de photo (j’ai dû acheter une nouvelle carte mémoire) : vitrines, temples, voitures, immeubles, trottoirs, bol de nouilles, rayons de supermarchés, néons, sushis et même... poubelles de tri sélectif... Pour un occidental, le moindre objet quotidien ici tiendrait presque de la curiosité ethnologique.


Au Japon, c’est moi le "touriste japonais".


Sanyonara.



Lionel



(Musique : "Girls" - Death in Vegas - Lost in Translation)