15 mars 2009

Mad in Korea



"L'aventure commence à l'aurore de chaque matin" dit un proverbe coréen. Un conseil d'autant plus facile à suivre qu'un jet-lag persistant ne m'a pas permis, pour le moment, de trouver le sommeil. Souvent, en voyage, le décalage horaire se réduit à mesure que le déphasage culturel augmente. A Séoul, c'est l'inverse : la proximité initiale avec cette ville mondialisée semble l'inviter à ne plus s'évaporer, comme s'il y avait sans cesse besoin de rappeler au voyageur qu'il se trouve bel et bien "ailleurs".



Devenu "schizophrène intercontinental", je déambule ainsi dans Séoul avec la double perception d'une routine tenace et d'un exotisme naissant. Au fil de ma progression, le regard, souvent levé vers le ciel, je commence à percevoir le voile souterrain d'une cité à l'histoire riche et complexe qui semble cohabiter avec le vernis bétonné d'une ville en constante mutation :

il y ces temples intimes, que l'on aperçoit parfois au pied des buildings, il y a ces ruelles étroites

cachées derrière les grandes artères bondées. Il y a ces très beaux marchés (marchés aux puces, aux herbes, aux vêtements, aux antiquités...) qui, à l'écart du chaos, semblent vouloir s'immiscer dans la vie urbaine. Il y ces palais royaux, au coeur d'immenses jardins, qui tiennent à distance des gratte-ciel respectueux. Il y a, enfin, cette volonté constante de ne jamais tourner le dos au passé : d'une ruelle traditionnelle reconstituée à une cérémonie de relève de la garde en costume d'époque, les témoignages sont partout présents d'un attachement profond aux racines, renforcés par une quantité impressionnante de musées : musée national de Corée, musée du Hanok (le costume traditionnel coréen), musée de l'artisanat, musée de la calligraphie, musée de la guerre, musée de l'olympisme et même musée de l'ours en peluche (cherchez l'erreur !), autant d'écrins luxueux qui mettent le passé sous cellophane afin de mieux le préserver des ravages d'un présent bouillonnant et frénétique, marque de fabrique d'une cité en perpétuel mouvement.



Bien plusqu'une ville, Séoul est une vibration. La densité de population a beau y être étourdissante, la foule dense et compacte s'y déplace en toute fluidité, comme transportée sur coussin d'air. De jour comme de nuit, la ruche coréenne, affairée et infatigable, vit au rythme des pulsations frénétiques imposées par les rumeurs de la rue, la cacophonie du trafic, le vrombissement des autobus, le clignotement des néons ou les mille et un messages délivrées par le réseau de transport, seul apte à soutenir la cadence de ce fourmillement continu.

Travaillant, achetant, mangeant, bavardant, téléphonant en permanence, chacun semble téléguidé par son but, animé d'une volonté de démultiplication que traduit d'ailleurs la profusion d'objets nomades. Du haut de la tour de Séoul, où la ville s'étend à perte de vue, le spectacle est ahurissant : vision kaléidoscopique d'un paysage urbain pixellisé par la foule, d'une marée humaine fourmillant en tous sens, de flots piétonniers ininterrompus se faufilant dans les interstices de la ville, de milliers d' "atomes humains" s'engouffrant dans les boyaux d'un réseau souterrain tentaculaire, enserrant la cité de ses interminables lignes de métro désarticulées.


A Séoul, tout est éphémère, à commencer par sa position dans l'espace...




Le temps, les idées, la création, la mode, la vie, les affaires... Le remous est permanent, la mutation constante. Séoul possède cette énergie "électrisante" des villes en régénération perpétuelle, où - comme à NY - tout se transforme, se consume et se réinvente sans cesse. Partout, à tout instant, un détail, une scène, un changement imperceptible témoigne d'un goût du renouveau, d'une "fureur de vivre", d'un enchaînement continuel du cycle destruction / reconstruction que seule provoque une sensation suérieure de la fragilité des choses. Malgré son chaos et sa densité, Séoul n'asphyxie pas, elle aspire, exerçant sur le voyageur les mêmes vertus euphorisante que le Ginseng, la spécialité locale (un fantastique marché à l'odeur étourdissante lui est consacré) : griserie des sens, ivresse d'émotions, extase exquise de se sentir vivant au milieu du pire des chaos.


Dans cette ville électrique et régénératrice, mon goût de la solitude se mêle avec bonheur à une troublante alchimie des multitudes...


Et comme ici, tout flot humain aboutit tôt ou tard dans un lieu marchand, je finis par être déversé dans l'un de ces gigantesques "shopping mall" géant qui quadrillent la ville, sorte de fragment in-vitro - ou plutôt "in vitrines" - d'un monde où chaque minute semble consacré à produire et à consommer.

Sur 120.000 m2, le COEX - le centre commercial le plus connu de Séoul au allures de vaisseau spatial - propulse chaque visiteur dans un réseau complexe de galeries eenfouies, où l'obscurité des corridors tapissées d'écran publicitaires contraste avec l'éclat de vitrines porteuses de tout ce que le capitalisme peut proposer : mode, électronique, jouets, livres, décoration... autant de domaines que ce phalanstère mercantile, version colorisée et tapageuse de la Caverne de Platon, s'approprie pour mieux le transformer en valeur marchande.


A l'image de ce labyrinthe commercial, Séoul paraît - en surface - symboliser un monde où la profusion d'objets et de services abolit le temps salutaire de la réflexion.


Pour m'en échapper, je finis par prendre au hasard une sortie au détour d'un Mc Donald, me retrouvant face à la ville dont les buildings et les montagnes alentours m'évoquent subitement les histogrammes et les courbes de croissance d'un graphique géant. Mais c'est une autre courbe qui fige mon regard : celle dessinée délicatement par un toit en aile d'hirondelle, caractéristique des édifices religieux d'Asie, contrastant avec la géométrie brute des gratte-ciel environnants.

Alors, comme par magie, la ville semble s'écarter discrètement - tel le rideau silencieux d'une scène de théâtre - pour me faire pénétrer dans l'un de ses recoins mystérieux, comme si elle avait cherché à me "mettre à l'épreuve" pour mieux ensuite révéler ses secrets. Dans l'harmonie des pavillons de ce temple bouddhiste, reliés entre eux par d'élégants escaliers, on se sent alors immédiatement comme en retrait du monde en plein coeur de la ville, tels ces fidèles venus s'isoler dans l'immobilité d'une méditation. Voilà donc l'exotisme de ce pays qui, dans son mystérieux mélange de modernité débridé et de passé ancestral, rappelle à chacun sa capacité à retrouver sa propre sérénité au milieu du tumulte et de l'agitation.

Comme Séoul, qui fait émerger son âme profonde derrière le vernis du modèle occidental, il faut parfois s'enfouir dans l'inconnu d'un bout du monde pour voir surgir sa propre identité....


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Séoul(mars 2009)