25 mars 2006

EN CAMPAGNE (Orccha)



La campagne indienne ne se livre pas facilement. Il faut, pour l’aborder, subir dix-sept heures de train (pour parcourir à peine plus de 250 km...), sauter du wagon quasiment en marche à un passage à niveau et espérer qu’un moyen de transport passe par là, pour vous aider à parcourir les quelques kilomètres restant. Heureusement, je n’ai pas eu à attendre longtemps : un taxi collectif passait par là et, comme il était vide, j’ai du payer le prix fort. Après m avoir déposé a l’entrée de la ville (sans que je sache pourquoi il ne s’aventurait pas à l’intérieur), il m’a fallu encore traverser à pied le village avec mes 2 sacs à dos pour arriver enfin à destination... Bienvenue à Orchha, un minuscule village perdu de la vallée du Gange, un peu à l’écart des routes touristiques (qui vont vers le Taj Mahal).


Ce n’est pas ici que j’aurais des problèmes d’orientation : toutes les habitations du lieu semblent s’agglutiner autour d’une route principale (remplie de nids de poules), qui va d’une campagne que l’on pourrait confondre avec un désert, à une rivière a demi asséchée. Bien évidemment, tous les "standards" de l’Inde sont au rendez-vous : Rickshaws au moteur pétaradant à la recherche de clients, camions massifs et colorés se frayant un passage à coups de klaxon stridents, petites échoppes improvisées le long du chemin principal, vaches immobiles, presque aussi nombreuses que les habitants, dormeurs affalés sur leur chaise, semblant rechercher de l’oxygène la bouche ouverte, femmes en sari multicolores portant paquets sur la tête ou bébé dans les bras (parfois les 2...), pléthore d’enfants magnifiques et rieurs, aux yeux noirs et teint d’acajou, demandant stylos, poignées de mains (parfois de l’argent) ou être pris en photo, mendiants immobiles et résignés, écrasés par le soleil, qui ne regardent même plus les passants...


En fait, Orccha serait un village comme il y en a sans doute des milliers en Inde si il n’était pas entouré d Histoire : des ruines à la taille impressionnante, mais à la façade décrépie, entourent le village dans un corset de vieilles pierres ocre et écrasant : palais de maharajah à la façade décrépie, tenant debout malgré le poids du temps, cénotaphes royaux en bordure de rivière, reflétant leurs dômes dans les eaux boueuses d’une rivière, transformée en une multitude de flaques, temples à moitié en ruine dont on sent pourtant la splendeur passée, anciens jardins royaux aujourd’hui desséchés, mais où la population aime à se retrouver... Orccha tient à la fois du bout du monde et du bout d histoire. Le village s’est du coup paré d’un petit vernis touristique, où l’on trouve artisanat local, téléphone international et même connexion Internet.


La vie est paisible ici. J’ai choisi un bel hôtel pour en faire également une étape de repos : un parc verdoyant, bien entretenu (Patricia saurait sans doute me donner le nom de toutes les plantes qui s y trouvent), un jardin sympa en bordure de rivière, où je prends le petit déjeuner et pas un touriste à l’horizon, sinon de riches familles indiennes dont le regard, pour être moins appuyé, n’en est pas moins discrètement fixé sur vous. Ma chambre est, en réalité, une tente robuste, naïvement décorée de fresques d’enfants, avec sol en faux marbre et tout le confort moderne (douche, matelas profond et même télévision). On pourrait ici rester des heures à ne rien faire et à contempler. Je m’astreins néanmoins à un emploi du temps "serré" : après le réveil, petit déjeuner et lecture dans le jardin ou corbeaux, écureuils et perroquets verts se tiennent à distance. Puis visite des monuments alentour, où j’erre quasiment seul au gré de mon imagination, alternant la fraicheur des salles ombragées et la canicule des cours intérieures. Enfin, retour à l’hôtel en milieu d’après-midi, à l’heure de la sieste, moment dans lequel le village semble saisi d' une torpeur écrasante, où la seule activité perceptible est le mouvement hasardeux de la queue des vaches chassant les mouches parasites. Le soir, balade tranquille en quête d'un resto, plutôt une gargote, où je tente de nouer contact avec quelques Indiens. Je visite également les villages alentour, eux aussi porteurs de ruines, mais ceux-ci se révèlent particulièrement difficiles d’accès : aujourd’hui, il m a fallu prendre trois moyens de transport bondés pour parcourir 40 km !


Indiscutablement, ces trois jours à Orccha (je pars demain) resteront comme un moment où j’aurais appuyé sur le bouton "pause" dans ma vie. J’y ai presque mes petites habitudes : en sortant de l’hôtel, je donne mon linge à une famille nombreuse, improvisée en teinturerie (avec fer a repasser d’époque), ensuite, je discute avec le vendeur de boissons, le temps de faire le plein d’eau minérale. Il y a aussi le mendiant du temple voisin, le barbier qui désespère de me raser un jour avec sa lame neuve ("new blade, sir, new blade"), les paysans qui m’ont, dès mon arrivée, demandé de les aider à sortir une vache d’un fosse parce qu elle ne tenait plus sur ses jambes et, enfin, toute une nuée d’enfants brailleurs, qui me suivent sur quelques dizaines de mètres dans une joyeuse cacophonie désordonnée (je leur achète des chips, parfois). Tout ça fait penser à une retraite tranquille, où vieilles pierres, nonchalance et canicule complotent pour vous assigner à résidence ici.


Le soir, pourtant, en rentrant à l’hôtel, alors que le village est plongé dans une obscurité due aux coupures de courant, on distingue, à la lueur des maisons, la petitesse de l’habitat ou s’entassent familles et objets nécessaires, les enfants en haillons, devenus immobiles avec l’obscurité, et tous ceux qui n ont pas la chance d’avoir un toit et dorment sur la route.


Dans ma tente de maharajah, le sommeil sera très difficile à trouver...


Demain, départ pour Delhi, nuit de transit à la gare et arrivée le lendemain près des sources du Gange.



(Ambiance sonore : "Madrasa" - M. Sansom - www.soundtransit.nl)