25 févr. 2008

UNE OASIS DANS LE DESERT (3/5)


Dans le silence du désert, Palmyre surgit des sables tel un mystérieux fragment d'éternité. Véritable souk de l'Antiquité, cet ancien carrefour commercial - où transitèrent les caravanes de la Route de la Soie - unit le sable à la pierre, le désert à la végétation et l'Histoire à son propre cheminement. Avec la sensation étrange d'échapper, le temps d'une visite, à la fuite du temps...



Quelle que soit la direction empruntée, sortir de Damas s'apparente forcément à une brutale expérience du Vide. Une fois extirpée du labyrinthe des souks, une fois arraché de la mosaïque des quartiers, une fois dégagé de la ceinture de béton et de modernité, on débouche brusquement sur un incroyable « nulle part », tellement déroutant, tellement vertigineux que la route elle-même semble en perdre son chemin. Le désert… Un « no man's land » sans fin, un paysage d'une infinie platitude, du rien à perte de vue. Ici, pas de dunes harmonieuses et ondulantes, pas de sable fin et ocre, pas de caravane majestueuse de chameaux traversant l'horizon. Seulement de la rocaille grise et uniforme, de la pierre étalée a l'infini, tel un océan figé, de la caillasse immobile qui semble solidifier jusqu'à l'atmosphère. A bord du bus, le regard perdu à travers les fenêtres, on passerait une vie à chercher en vain un vague repère visuel auquel se raccrocher….

Et puis soudain, après 3 h de route, un mirage…

D'abord a surgit la forteresse, surmontant un piton rocheux. Puis se dressent le temple aux façades ocres, illuminées par les rayons du soleil., l’arche grandiose, le théâtre romain, les remparts, les termes, la foret de colonnes sculptées... Et tout autour - comme un écrin naturel à cette cité brusquement émergée des sables - des palmiers à perte de vue, une oliveraie, des dattiers… Un miracle? Non, une oasis. Un paradis perdu en plein désert, où les hommes fondèrent une cité antique et mythique : Palmyre.


A Palmyre, chaque pierre raconte son histoire. Ici, les ruines d'une splendide demeure où l'on devine l'arrivée des chameaux venus décharger leur précieuse cargaison d'or, d'encens ou d'épices. Là, les restes d'une immense agora suggérant les étals colorés des souks de l'époque. Là encore, un temple magnifique, où l'on toucherait presque du doigt les portes monumentales, les salles de procession, les autels de sacrifice ou les bassins de purification. Et puis, surtout, cet impressionnant alignement de colonnes le long d'une interminable allée principale, zébrant le pavé de leurs ombres rasantes, figées dans une immobilité invitant à la contemplation. Impression renforcée par ma solitude complète (nous sommes en basse saison) au milieu de ce champs de pierres dressées en vestiges immuables, propice à une errance à peine troublé par les bédouins locaux, ayant troqué leurs chameaux contre de vieilles 125 américaines sans âge, dont l'état semble indiquer qu'il existe aussi une forme d'antiquité pour les 2 roues motorisés.



Étrange cité de l'antiquité, dominée par une forteresse majestueuse et quelques dunes fatiguées, qui, dans ce désert total encerclant ce champs de ruines, laisse pourtant planer un étrange sentiment de plénitude et d'absolu. Malgré l'immobilité intemporelle des vestiges, tout, ici, respire encore le commerce, l'échange, le brassage, la rencontre, la vie. La ville qui servit de passage obligé sur la route de la Soie semble curieusement encore réelle, vous interpellant par le brouhaha d'une foule, par le bruit de pavé martelés par d'illusoires chevaux ou caravanes, par les cris des marchands zélés qui, pour être tirés de l'imaginaire, n'en semblent pas moins réel dans ce lieu à l'incroyable puissance d'évocation. On s'y sent comme au carrefour de soi, libre d'aller dans toutes les directions, de ressentir sans entrave, d'errer sans contrainte au milieu des colonnes qui, à toute heure, captent les nuances d'une lumière irréelle, dans la pureté d'un instant quasi intemporel.

Et le soir, alors que les monuments s'illuminent au clair de lune, on reste hypnotisé comme un enfant à contempler ces étranges fragments d'éternité, observant chaque frise, chaque fronton, chaque pierre, chaque détail comme pour graver dans sa mémoire les vestiges d'un passé enfoui, dont on ne sait plus très bien s'il appartient à l'Histoire ou à son propre cheminement.



Il aurait fallu rester ici plus longtemps, errer sans but au milieu des ruines et jusqu'aux dunes du désert, se plonger dans le passé de cette cité magique qui, de l'empire romain à la reine Zénobie, fait encore flotter une vague parfum de légende et d'éternité. Il aurait fallu arpenter lentement les chemins qui, au milieu des datiers, des palmiers ou des oliviers, vous donnent l'impression d'atteindre en vous l'oasis de sérénité longuement cherchée dans son désert intérieur.
Il aurait fallu contempler plus longtemps encore, du haut de la forteresse, les traces d'un souk immense - comme incrusté dans le désert - pour retrouver la quiétude et l'apaisement que l'on cherche en vain dans le tumulte d'une vie quotidienne. Ici, j'ai eu la sensation d'être pleinement vivant, d'habiter l'instant, d'avoir vécu l'un de ces moments rares où l'on a enfin l'impression de vivre chaque parcelle de présent.

Même si, en quittant Palmyre, je sais deja que ces instants vont bientot s'evaporer, emportés par le cours d'une existence qui, comme moi, reprend sa route.

En marchant tôt le matin vers la gare des bus, au moment où la lumière rasante du soleil rougit la facade des édifices, j'ai ramassé un peu de sable et l'ai regardé longuement s'écouler entre mes doigts. Juste pour vérifier que le temps, comme le désert, était redevenu insaisissable...





Suite du carnet :
De l'autre côté des remparts (4/5)