L'Orient ne s'aborde pas facilement. Il se confond, souvent, avec l'exotisme ou l'aventure bon marché. Il se limite, pour beaucoup, à quelques clichés simples, solubles dans notre esprit rationnel. Pour se dévoiler, il exige un long séjour et une attitude assez inhabituelle faite de candeur intuitive, propice à l'émerveillement, de distance affective, favorisant l'analyse et de douceur attentive, envers les autres comme envers soi.
C'est muni de ce « bagage » que Sophie débarque à Marrakech. Un job sur place comme seul repère, elle s’immerge dans ce monde troublant avec la meilleure des curiosités : celle qui ne sait pas ce qu'elle cherche. Belge de naissance - mais sans attache par essence - elle s’y imprègne de tout : de la splendeur des palais comme de la saveur des plats, de la moiteur du climat comme de l’odeur des épices, de cette torpeur qui s’installe comme des petits bonheurs qui en émergent sans prévenir. Peu à peu, une autre vie s’égraine, plus difficile qu’avant parce qu’imprévisible, plus proche de l’essentiel, aussi.
L’idée vient alors à cette architecte de formation de bâtir, sans plan précis, un édifice improbable fait d’émotions ressenties, d’élans spontanés, d’attendrissements soudains ou de désarrois inquiets… de toute cette ivresse de « petits riens », éphémères et colorés, qui s’empare de nous lorsqu’on est plongé dans un univers déconcertant. Voilà donc cette « Rouge poussière », tourbillon permanent et déroutant, qui dit simplement la vie comme elle vient, parle du sentiment d'exister par le seul fait d' « être là ».
Portées par lui, on emboîte le pas de Sophie dans le dédalle étroit du souk comme dans les espaces immenses du désert. On l’accompagne dans les hauteurs ensoleillées de l'Atlas comme dans les profondeurs enneigées de… son frigo, on épouse avec elle la noble et tranquille démarche du chameau comme on subit le chaos infernal de la circulation. On la suit, finalement, dans ce va et vient incessant - et très oriental – entre le sublime et le futile, l'histoire et l'anecdote, le logique et l’irrationnel. Et l’on savoure tous ces « instantanés littéraires » comme autant de bouffées chaudes et épicées, parfois envoûtantes, échappées d’un « ailleurs » qui semble s'inventer à chaque instant.
Une indication pour la lecture : l'ordre est chronologique, mais on peut commencer n'importe où, ouvrir le livre au hasard. L'errance - car c'est bien de cela qu'il s'agit - n'en sera que plus belle. En parvenant à son terme – si tant est qu’une errance peut jamais s’achever- on ne pourra songer qu’à cette phrase mille fois répétées, qui dit tout des pages qui vont suivre : « Ne demande jamais ton chemin à celui qui sait. Tu pourrais ne pas te perdre ». Et oublier que, comme la poussière, l’Orient est insaisissable…