4 mai 2005

MACAO, L'ENVERS DU JEU


Il est des lieux dont la seule évocation suffit déjà à faire voyager, des noms qui portent en eux une telle dose d’imaginaire qu’ils déclenchent immédiatement la machine a rêver à peine lus ou prononcés. «Pondichéry», «Transsibérien», « Rangoon», «Oulan Bator»... sont autant de tremplins vers l’imaginaire, de portes ouvertes vers un ailleurs espéré, porteur de mille et une promesses d’errance hasardeuse et nonchalante.

Macao a longtemps résonné en moi de cette manière... Reputé «Enfer du jeu», ce petit coin d'occident perdu au fin fond de la chine promettait tripots enfumés et rythme endiablé , moiteur tropicale et ambiance coloniale, ruelles sombres et mystérieuses, foule grouillante autour des vieux édifices des conquistadors portugais.... Comme souvent dans ces cas la, la réalité s’avère décevante par rapport a la fiction. Impossible, pour elle, de concurrencer une telle machine a rêves. L’arrivée par bateau calme vite les ardeurs de découvertes et tous les rêves greffés à la destination : bonjour l’urbanisation anarchique, les buildings champignons et les hôtels clinquant qui fleurissent sur la côte, dans une frénésie immobilière que ne dément pas les chantiers que l’on aperçoit dès le pieds posé a terre. Ca sent l’urbanisation anarchique, ici, sans qu’aucune limite ne semble avoir été fixée au départ.

Alors décevant, Macao ? Plions bagage et repartons ? Pas du tout... Car une fois passé ce corset de béton et de mauvais goût, on pénètre au coeur historique de la ville. Et la, changement d'ambiance... Dans ce minuscule confetti chinois, on a conserve voir rénové les vestiges du passe portugais. Façades baroques, édifices aux tons pastel, trottoirs recouverts de faïence et rues pavées a l’ancienne... On se croirait presque dans une ville méditerranéenne s’il n y avait pas aussi ces petites boutiques chinoise, ces échoppes minuscules, ces marchés colorés qui sentent le poisson ou la viande. Une ambiance quelques peu irréelle, ou les idéogrammes chinois côtoient les noms de rues en portugais, sur des plaques en faïence bleue et blanche. A quelques pas du « Largo de Senado », la place principale, on trouve le « Centrale Market », ou les chinois font découper les poissons encore vivant pour leur repas du jour. A deux pas de la « Santa Casa da Misericordia », ancienne maison de charité, on trouve une petite boutique spécialisée dans les...ailerons de requin, tenue par un vieux Chinois. Et ce n'est pas fini. Il y a ici plus d’églises ou d’édifices religieux qu’au Vatican. Très belles façades colorées, avec ces formes typiques des églises du 16eme siècle. Un quartier plus loin, on évolue au contraire entre temples bouddhistes et jardins chinois typiques, avec lacs, petits ponts et plantes exotiques. Voila Macao : Une fusions subtile entre orient et occident, un mélange improbable entre vieux Portugal colonial fige dans un passe oublié et chine traditionnelle, grouillante et trépidante.

Le mélange... N’est ce pas ce qui fait l’essence même du voyage ? Beaucoup de chinois ici mais encore pas mal de Macanais typiques, nés d’union entre portugais et chinois, ce qui donne un métissage assez atypique, surtout quand on lit que des malais, des indonésiens et d’autres sont venus se joindre au cocktail. Atmosphère quelque peu irréelle, née de mon errance - deux jours non stop, sauf pour dormir - entre églises, temples, magnifiques jardins chinois, échoppes et marchés, tout ça découvert presque au hasard des balades.. . Pas vraiment grand choses a faire ici. La réputation d enfer du jeu est surfaite ou a presque disparu, même si le tourisme se redéveloppe à grand pas. Non, ici, tout est à voir, à ressentir. La ville (comme Marseille d’ailleurs), ne se révèle pas au premier abord. Il faut se plonger dans l’atmosphère qu’elle offre aux rêveurs, même légers.Au milieu de ces mille détails qui rappellent un passé révolu, mais qui suffisent à stimuler l’imaginaire, on évolue sans vraiment trop savoir où (mais la ville n’est pas très grande) et l’on part assez vite dans ses pensées. Macao, « l’Enfer du Jeu », devient alors, le temps d’une errance, « l’envers du Je », ou l’on a la sensation de se connecter à des émotions trop souvent enfouies et qui forgent son identité.

Dans le bateau qui me ramène sur Hong-Kong, je me demande si Macao n a pas été un rêve, tant on est a la fois conscient et perdue dans ses pensées. On en repart avec la sensation diffuse de s’être égaré dans les vapeurs d’un monde perdu, qui nous connecte tout droit aux vestiges de notre propre passé, tant le temps ici s’écoule lentement. L’esprit vagabonde et les pensées abondent...

Et comme pour dérouter un peu plus, il est un endroit à Macao où l’on retrouve l’exact contraire de tout ce que je viens d’écrire : au casino Lisboa, le plus connu de la ville. De l’extérieur, avec ses néons, il ressemble à une corbeille de fruits géante. A l’intérieur, une fois franchi le portique de sécurité, on a l’impression de retrouver un peu cet « enfer du jeu » tant vanté auparavant. Autour des tables vertes, des attroupements de forment pour regarder les joueurs perdent ou gagner les sommes pariées. Machines à sous, Black-Jack et la roulette sont là, mais aussi toute sorte d’autres jeux inconnus dans nos casinos. Atmosphère enfiévrée et enfumée, dans un dédale de salles sans pendules ni fenêtres. Plus on grimpe les étages, plus les jetons s’agrandissent, ce qui permet de mettre plus de zéro dessus... Etonnante, cette ambiance faite de ballet de cartes, de cliquetis de jeton, de cris pousses selon les gains et de regards énigmatiques « à la chinoise ». Un joueur vient de poser une pile de jetons sur le trois. Doucement, il regarde les cartes qu’on lui a distribue, en soulevant juste le coin. Derrière lui, le public tente de regarder par en dessous, mais l’ homme est habile et garde le secret, d’autant qu’il a trois garde du corps qui l’entourent. Alors, soudain, il se lève et lance violemment ses cartes sur le tapis vert en poussant un cri de victoire. En face de lui, un autre joueur jette les siennes dans un geste de dépit et s’en va. Combien de fortunes se sont faites et défaites ici ? Combien de destins se sont ils joués a travers ces cartes, ces pions ou ces jetons. Habillés de blanc et de noirs, les croupiers peuvent aussi bien être des anges ou des croque-morts, selon ce que dit une petite boule, une paire de dés ou un morceau de carton tordu de rage. La tête tourne un peu : la fumée, sans doute, la frénésie peut être aussi...

Aujourd’hui, dernier jour à Hong-Kong, ultime errance sans but, dernières sensations de temps à la lenteur enfin retrouvée.

Ma famille me manque... Hong-Kong me manquera aussi...



(Musique : "Champs magnétiques" - J.M. Jarre - Les concerts en Chine)