30 avr. 2005

PETITE CHINE


Encore une journée très dense, hier, que je ne peux pas ne pas immortaliser ici. Pardon par avance pour la longueur probable du message, écrit en première intention.
Une journée entièrement consacrée aux marchés traditionnels, éparpillés ça et là dans Kowloon, la partie chinoise de la ville. J’ai déjà pas mal parlé de la foule et de la chaleur... Mais hier, dans ces ruelles étroites aux étals encombrés, ces deux paramètres indissociables de mon voyage ont trouvés une forme de consécration, au point de devoir rentrer prendre une douche entre midi et deux, pour retrouver un peu de fraîcheur et …d’espace, dans ma chambre de poche

Donc, départ du marathon au quartier de Mongkok, l’un des plus fascinants de la ville, tant on s’y sent beaucoup plus en Chine continentale qu’à Hong-Kong même... Sorti du métro puis passées une ou deux routes encombrées (surmontées d’énormes passerelles de béton), on commence déjà à sentir les premiers parfums du marché aux fleurs tout proche. Il parait qu’il en arrive du monde entier. L’endroit est aussi connu pour fournir aux plus gros hôtels de la ville leur centre de tables et autres bouquets mis dans les chambres. Et on les comprend : l’endroit n' est pas très grand mais l’abondance de plantes, de bouquets, de pousse de bambou, cactus, bronzai, etc. lui donne l‘aspect d’une jungle luxuriante. Les boutiques sont alignées sagement (pour une fois) les unes à côté des autres, sous le regard de clients connaisseurs. Certains repartent avec d’énormes bouquets sous le bras, d’autres discutent avec les vendeurs... Ca s’affaire de partout : on amène des tonnes de bouquets par camion ou charrue, on coupe des tiges, on déballe, on remballe, le tout multiplie par des dizaines de boutiques, certaines spécialisées (dans le bambou, par exemple...)... Bref, tout ça fleure bon la tradition, et en même temps apporte un vrai rafraîchissement. Mais le meilleur reste encore à venir...

Car là, tout proche, commence le marché aux oiseaux. Déjà, du marché aux fleurs, on entendait une vague cacophonie de piaillements. Mais une fois entré dans l’enceinte, on se retrouve projeté dans une volière à ciel ouvert. Comme pour les fleurs, plein de boutiques regorgeant de cages avec, à l’intérieur, des oiseaux de toutes les couleurs. L’arc en ciel de plumes va du bleu au jaune en passant par le rouge, le vert, l’indigo d’autres couleurs que je ne saurai décrire. Les cages elles même sont en bambou ou en bois fin et de toutes tailles et couleurs, donnant a l’ensemble l’impression d un bond en arrière dans le temps. Très émouvant de voir ces vieux chinois scruter longuement les cages, nourrir patiemment chaque oiseau, en sortir un de temps en temps et l’approcher de son oreille et écouter son chant. D’autres viennent même avec leur cage pour promener leur compagnon, lui faire prendre l’air et comparer le chant avec celui du copain. Des attroupements se forment, on suspend des cages, on vient acheter de nouvelles espèces. Je ne suis pas expert, mais j’ai reconnu des perruches, des rouges gorges, des inseparables (merci Hitchcock) et bien sûr des perroquets. Un cacatoès m’a même picoré la tête par surprise quand je tentais de prendre un de ses collègues en photo. J’ai failli en laisser tomber mon appareil photo, heureusement pendu à mon cou... On plane doucement dans ce joyeux désordre, transporté par des scènes touchantes, au milieu de centaines d’oisillons en liberté qui virevoltent tout autour, dont le chant donne au tout un parfum gentiment insouciant.

Je m’assoit sur un banc pour contempler une scène parmi d’autres : un vieux chinois à longue barbe taillée en triangle scrute une cage pendant de longue minutes, l’air angoissé et passionné, prend un oiseau, le caresse, le remet en cage, en prend un autre, écoute son chant, le repose, réfléchis longuement, les nourris et finit par en choisir un qui n’imagine sans doute pas les mille et un test de sélection qu’il a du traverser. Alors, une fois l’animal acquis, le visage se pare d’un grand sourire dans lequel on peut lire un certain soulagement. Sa cage dans la main, il montre fièrement son nouveau compagnon de solitude a quelques amis puis s’en va lentement, cage sous le bras et démarche voûtée. Des moments de temps immobile, durant lesquels on comprend ce qu’on est venu chercher « ailleurs »...

Après ce vrai coup de coeur, le marché aux poissons, tout proche, apporte aussi son lot d’images étonnantes. Plein de petits sacs plastiques remplis de poissons plus ou moins gros, occupent les étals sur les trottoirs. Là encore, féerie de couleurs troubles, surtout si l on ajoute les aquariums a l’interieur, remplis des plus gros poissons.... il parait que dans une maison, c’est bon pour le feng-shui... Suivent encore d’autres marchés, vendant toutes sortes de fringues, gadgets, pacotille et autres chinoiseries bon marché, puis un temple, dans la cour duquel des vieux chinois jouent au Mah Jong, provoquant des attroupements passionnés...

Je suis sur un nuage, soulé par cet « opium du peuple » au sens littéral du mot !!
En fin de journée, la compression mêlée aux odeurs d’échappement devient vraiment difficile. L’idée fuse alors tout naturellement : aller dans un endroit PAISIBLE, parfait antidote à la foule, a la sueur, a la pollution et au bruit. Nouvelle douche a l’hôtel, une chemise sur le dos et hop, me voila dans le hall gigantesque du Peninsula Hotel... L’endroit le plus chic de Hong-Kong après le lieu le plus sale et le plus encombré ? Et alors ? Dans cette ville, on n’est plus a un contraste près... Ca tombe bien, c’est l’heure de l’« Afternoon tea », une tradition que cet ancien bastion du colonialisme anglais continue de faire perdurer dans ce petit bout de Chine. Je m’installe à une table proche de l’entrée principale du gigantesque lobby, pour contempler le ballet incessant des deux portiers en uniforme ouvrant et fermant les hautes portes vitrées. Entrent ici hommes d’affaires portable a l’oreille, vieux anglais tout droit sortis d’un film de James Ivory, femmes en sari ou en robe chinoise façon « In the mood for love ».

Quel régal pour les yeux là aussi. Le plafond immense a conservé ses lambris dorés. Des piliers finement décores atterrissent directement sur le sol en marbre, recouvert d’une moquette à se noyer dedans. Perché sur un balcon de style victorien, un orchestre joue tranquillement des airs jazzy, invitant a la rêverie. Incroyable... On se croirait presque à bord du Titanic, en première classe. Lustres suspendus, ballet des serveurs superbement habilles, va et vient du concierge de l’hôtel... l’activité bat son plein, mais dans une telle atmosphère ouatée quelle passerait presque inaperçue. L’endroit est frais, les va et vient s’intensifient et je suis bien...

J’y reste bien deux heures, le temps de prendre des photos, d’écrire des cartes postales et de visiter quelques étages de ce magnifique hôtel, qui a bercé mon enfance (ce serait long a expliquer mais mon frère comprendra...). Un dernier passage par les toilettes en marbre, ou un valet me tend une serviette pour m’essuyer les mains, et retour dans la fournaise. Au passage, je note les 3 Rolls garées juste devant l’hôtel. Il fait nuit. Que faire après ça ?

Nouveau contraste. A HK, on peut goûter toutes les cuisines du monde ? Rendez-vous dans un restaurant...mongol, repéré en cours de balade. Enfin... un resto Mongol « made in Hong-Kong », sauf a m’expliquer que, sous une yourte, on mangent du gâteau de fromage, de la pastèque ou de la mousse de framboise, desserts présents sur le buffet! En fait, c est plutôt un resto à la mode, avec déco stylisée en fer forge et fausse fourrure. On compose soi-même son repas en choisissant ses viandes, légumes et sauces que des cuisiniers au couteau habile, qui donnent sur la rue, vous preparent instantanément. Un régal et comme ‘etait un buffet a volonté, j’ai feté dignement la sortie de la semi diète à laquelle je m’étais astreint pendant 2 jours.

En rentrant a l’hôtel, je me suis fait prédire l’avenir dans l’un des nombreux stands du marché de nuit, proche de « chez moi ». Tarot, lignes de la main ou du visage, oiseau...On a le choix des armes pour prédire son futur. Je choisis la dernière option: un « mage » sort un petit oiseau d’une cage, lui murmure quelques mots à l’oreille et l’animal choisit une enveloppe parmi d’autres. La mienne dit que tout va bien (quelle surprise !) mais que je dois néanmoins faire du sport pour me sentir encore mieux. Et termine par ces mots : « la seconde partie de l’année sera meilleure que la première »…

Sur cette heureuse perspective, je me suis endormi...


Une journée inoubliable.

J'espère que demain, ma balade au milieu de l'architecture de HK le sera aussi...

Lionel




(Ambiance sonore : "A walk in Kowloon" - E. Mieville - www.soundtransit.nl)