8 mars 2004

APOCALYPSE NOW


Je reviens de deux jours passés a Hiroshima. Voici comment mon Guide introduit la destination : le 6 août 1945, a 8h15, la ville d’Hiroshima entrait, en disparaissant, dans l’histoire. Elle fût la cible de la première bombe atomique jamais utilisée contre une population civile". Que dire de plus ?... De la catastrophe, il ne reste ici plus rien. La ville a été entièrement reconstruite, selon un plan géométrique à la new-yorkaise (rues en angle droit) et ressemble aujourd’hui à toute les villes japonaises que j’ai pu visiter ou apercevoir du train : dense, ultramoderne, inesthétique et "virtualisee". A deux grosses exceptions près :

Le tramway tout d’abord, auxquels les habitants d’Hiroshima sont tellement attachés qu il ont refusé de le remplacer, comme dans d’autres villes nippones, par un métro sophistiqué. La raison, je l’ai apprise ce matin par hasard : trois jours après l’explosion, le tram était remis en service, les habitants pouvant l’emprunter gratuitement. Il faut tenter d imaginer l’image d’espoir que devait représenter, dans une ville rayée de la carte, un tramway en circulation seulement trois jours après l’ apocalypse... D ailleurs, tout ici respire la vitalité, presque la "fureur de vivre". La nouvelle Hiroshima semble s’être érigé en un temps record et, plus qu’ailleurs, on est attache ici aux symboles forts. Le tramway en est un, dans une ville où il n’y a finalement presque rien à voir...mais tout à ressentir. Tout droit sorties de l’avant guerre, les lignes de tramways sont de véritables cicatrices anachroniques dans cette ville moderne, presque les artères vitales de la ville.



Second exception très forte d Hiroshima : le dôme de la Bombe A, seul vestige conservé du cataclysme. Il s’agit des ruines d’un ancien bâtiment administratif, situé a quelques dizaines de mètres du point zéro, au dessus duquel la bombe explosa à 600 m de hauteur. Le "monument", inscrit au patrimoine de l'UNESCO, ne donne - mais c’est déjà énorme – qu’une minuscule idée de la puissance de l’explosion : façade éventrée, murs de briques broyés, poutres de métal tordues ou fondues, débris jonchant le sol…. Cette miette de fin du monde, autrefois immeuble massif, laisse imaginer l’ampleur du souffle qui a tout balayé sur son passage et de la température au moment de l’impact. On resterai des heures a contempler sans bouger ce fragment d'apocalypse, partagé entre effroi, incompréhension et tristesse.

Tout autour, la sobriété des monuments commémoratifs contraste avec l’ampleur de la catastrophe. Un parc de la paix a été construit au dessus même des ruines de l’ancien centre ville (simplement recouvertes de sable). Il contient quelques symboles forts comme un cénotaphe qui renferme le nom des victimes (et l’inscription "Dormez en paix, plus jamais cette erreur ne se reproduira") et réduit habilement le champ de vision jusqu’à ne plus voir que les ruines évoquées plus haut, devant lesquelles brûle - autre symbole - la "flamme de la paix", qui ne s’éteindra que lorsque les armes atomiques auront disparues de la planète (et qui donc risque de brûler encore longtemps...). Plus loin, un monument est spécifiquement dédié aux enfants et, plus loin encore, des arbres demeurent debout, ayant conservés, sur leurs branches, des cendres de l’explosion. On évolue dans cet endroit bourré d’histoire comme une âme un peu perdu, cherchant a comprendre l’incompréhensible.

Enfin, le "pire" est a venir, avec la visite du musée consacré a l’explosion du 6 août 1945. C’est de loin le moment le plus pénible. A l’entrée, on est violemment frappé par deux maquettes géantes, représentants la ville avant et…après l’explosion. Je ne pourrais décrire ici tous les moments bouleversants de la visite mais les photos des victimes, le témoignages des survivants brûlés ou irradiés (dont beaucoup se suicidèrent, collectivement, ne pouvant supporter leurs blessures irréparables), la description méticuleuse des effets de l explosion (souffle balayant tout sur son passage dans un rayon de 4 km, température portée à 3000 degrés Celsius, radiations pendant et bien après l impact), les effets personnels retrouvés (bouteille en verre entièrement fondue, casque en métal déchiqueté, uniforme d’écolier brûlé, morceaux d’édifice broyés...) laissent imaginer, par un trou de serrure sensoriel, l’épouvante. On sort de la visite ébranlé, assommé, pétrifié...Contraste total avec la quiétude du Parc commémoratif qui nous attend a la sortie du musée.

Quand on va au Japon, il faut venir à Hiroshima.

J’aurais pu également vous décrire mon autre visite de la veille, celle d une île merveilleuse au large de la ville (15 mn en ferry), coincée entre mer bleue turquoise, collines enneigées et végétation dense et luxuriante. Une île remplie de temples apaisants, de sanctuaires tranquilles, de daims en totale liberté, de coins magnifiques et de visions irréelles de nature... et d’hommes vivant en harmonie avec elle. Un endroit sacré et magique qui procure justement l’impression inverse de celle que je viens de décrire quelques lignes plus haut : apaisement, sérénité, sensation d’absolu. Fragment d’éternité.


Harmonie et horreur, paradis et apocalypse, humain et inhumain... Hiroshima, un concentré d’humanité sur une poignée de kilomètres carrés.


Demain, dernière (grosse) journée a Tokyo et au Japon.


Bon courage a tous.
Lionel



(Musique : "Shibuya" - B. Reitzell & R.J Manning Jr. - Lost in Translation)