TOKYO EXPRESS
Ohayo Gozaimasu,
Le voyage se poursuit et, peu a peu et les premières impressions du départ se consolident en réalités affirmées. De Tokyo, que je quitte demain matin très tôt, je garde l’impression affolante d’un immense chaos urbain sur lequel s’agrége une organisation impensable de précision chez nous.
Ce dernier jour, mon plus dense dans la capitale, l’a encore démontré. Réveil a 6h (qui a dit que les voyages sont des vacances ?), juste le temps d attraper le premier métro pour le marché aux poissons, parait il le plus gros du monde, en bordure de la baie de Tokyo. Arrivé sur place, personne. Normal... Nous sommes Dimanche et évidemment, c est le jour de relâche. J ai perdu depuis longtemps la notion du temps occidental...Seul dans cet immense entrepôt (en dehors de quelques « joggers » matinaux), je reprend le métro, direction Shinjuku, le Manhattan japonais... en plus moderne. Il faut vous imaginer une cite de plusieurs
dizaines de gratte-ciel gigantesques, alignés les uns a côté des autres, tels les arbres d une foret de bambou. Dès la sortie de la gare, la sensation est vertigineuse, totalement déroutante. Dans cet univers de béton et d’acier, tous les architectes du japon, voire quelques uns d’autres pays (un immeuble de Philippe Stark en ville), semblent s’être mesurés
entre eux dans une course au gigantisme et à la démesure. Et pour accroître la sensation d’écrasement, le lieu était absolument...désert. Là encore, il faut vous imaginer ce mega-quartier totalement déserté par les 25.000 travailleurs qui l occupent habituellement du lundi au samedi. La sensation de vide est inimaginable, celle d’écrasement encore plus. Déambuler dans un périmètre uniquement fait de blocs d’aciers métalliques produit immédiatement une angoisse étouffante, comme si on perdait son humanité au profit de la matière triomphante. L’écrasement est à son comble devant la mairie de Tokyo, sorte de "Notre-Dame" futuriste, gigantesque et intégralement métallisée. On passerait des heures (mauvais sens de l’orientation aidant… !) avant de s’extirper de ce bloc dont on a la sensation de faire partie, croulant sous le poids de sa masse démesurée.
La tombée de la nuit renforce l'impresson ressentie tout au long de la journée. On déambule dans Tokyo comme on entre dans la Matrice : en perdant peu a peu son humanité. On devient un programme obéissant aux impulsions multiples d’un univers sensoriel omniprésent. Néons colorés ruisselant en cascades du haut des immeubles, idéogrammes incompréhensibles projetés au laser, publicités géantes en 3D, écrans kaléidoscopiques d’images accélérées, musique a plein volume dans les nombreuses salles de jeux, jingles électroniques répétitifs, messages publicitaires audio permanent, jeux vidéo à la virtualité réaliste, panneaux lumineux signalant l’arrivée des trains (précision des horaires diabolique), lignes jaunes, rouges, vertes ou bleues qu’il faut suivre pour arriver à destination, machines à prendre les tickets de métro qui dit "bonjour", "Merci" et "au revoir" et même... toilettes aux boutons digitaux multicolores dignes d’un tableau de bord de 747 (véridique, j ai mis 5 mn chrono pour trouver la chasse d eau…)...etc... Impossible de tout décrire ici. Dans cet univers tentaculaire, c’est le métro qui parle et l’Homme qui reste silencieux…ou comment la machine devient humaine et l’Homme mécanisé. Se croisant et s'entrechoquant en permanence, les « atomes humains » (dont je fais partie) semblent appartenir à un système complexe ou tout est régit d’avance.
En fait, Tokyo ressemble a ce jeu très populaire au Japon, le Pachninko, sorte de croisement génétique entre un flipper et une machine a sous, dans lequel des micro billes d’acier s’entrechoquent en permanence sur fond de réalité virtuelle. La capitale du Japon est un flipper géant de plusieurs milliers de km², avec ses animations multicolores, ses lumières et ses atomes humains, jouets de forces multiples et contradictoires. Heureusement, au milieu de tout ça, il y a les temples, merveilles d’harmonie et de sérénité. Il y a la vie japonaise, ses repas, ses bains, ses gens a l’accueil impensable chez nous. Il y a les japonais eux même qui, sortis de cet univers urbain, sont extrêmement serviables (combien de fois ai je demande mon chemin) et tout en subtilité (on ne dit jamais NON au japon mais "je vais y réfléchir" ou "c’est difficile"). Il y a la langue japonaise, complexe et
avant tout affaire de contexte plus que de mots (d’ou peu de problème pour se comprendre, d’autant que j arrive a dire quelques mots),... C est fou ici les contrastes auxquels on peut être confronté.
Entre chaos urbain et sérénité Zen des temples, entre virtualité ultra futuriste et tradition millénaire, le japonais ne semble jamais vivre au présent, comme s’il puisait dans un passe ancestral ou dans un futur lointain, rassurant d’organisation et de précision, matière a fuir un présent visiblement stressant et angoissant. Beaucoup de choses s’expliquent ici d abord par le manque d’espace (que l on perçoit physiquement), qui génère une notion de groupe très forte, un sens appuyé de la hiérarchie , une ingéniosité exceptionnelle (parking tout en hauteur,...) et l’obligation quasi vitale de sacrifier l’esthétique au pratique (immenses routes qui passent sous les fenêtres des habitations...). Tout s explique ensuite par cette sensation que le temps est compté et que donc, tout est éphémère. Quand on a connu (pour ne prendre que le 20ème siècle) deux séismes majeures, des incendies terribles en pagaille, deux bombes atomiques, qu’on vit sur une terre de séismes et de volcan, j imagine qu on a du mal a envisager le présent avec sérénité et l’avenir a long terme. D’où le refuge dans le passe millénaire, l’organisation impeccable ou le futur a la réalité virtuel.
Demain, départ pour Hakone a 5h du matin. Au programme, la rencontre avec deux "monuments" du Japon : Fujisan (Mont Fuji) et le Shinkansen, le TGV nippon.
Oyasumi nasai (bonne nuit)
A bientôt
Lionel
(Musique : "Are you awake ?" - B. Reitzell & R.J Manning Jr. - Lost in Translation)